Histoire romancée d'un sanglier aprivoisé !

Il arriva vers la tanière du mystérieux mélancolique et entra dans
la cour. Le désordre était supportable et il put trouver sans trop
chercher une place pour se garer entre un vieux tracteur désossé et
une pile de nasses vacillante. L’épagneul tri-jambiste l’accueillit par
un petit jappement et frétilla de la queue, à la limite du déséquilibre,
tandis que deux griffons dans le chenil s’égosillaient en lui
souhaitant une douteuse bienvenue. Il reconnut la voix du
Grenouilleux qui calma le jeu.
- A la niche !
Le silence se fit d’un coup et Yves se dirigea vers une porte
ouverte qui exhalait des odeurs de cuisine.
- Entre ! Je suis là !
Evidemment qu’il était là, mais le problème était d’entrer, car un
blaireau se bronzait en plein soleil, étalé de tout son long sur le seuil
de ladite porte. L’animal ne dormait pas tout à fait, un rictus
retroussait ses babines qui cachaient une dentition impressionnante.
- Comment fait-on pour rentrer chez toi sans réveiller ton
cerbère ?
- Enjambe-le !
- J’ai un peu la trouille, il me montre les dents, j’ai l’impression
qu’il trouve mes mollets appétissants.
- Mais non ! C’est sa manière à lui de sourire ! Il est adorable !
Pas vrai Nenesse ?
A l’évocation de son nom, le blaireau leva d’abord la tête, se
hissa paresseusement sur ses courtes pattes, s’étira de tout son long
et entreprit une inspection olfactive minutieuse des semelles du
nouvel arrivant. Le Grenouilleux, absorbé par la tâche, semblait lire
l’avenir dans une poêle grésillante de friture. La cuisson devait
l’inspirer car il souriait de satisfaction.
- Ça va être prêt ! Qu’est ce que tu fous, installe-toi ! Tu ne vas
pas rester sur le pas de la porte.
Yves enjamba courageusement le concierge animal en se
protégeant tout de même l’entrecuisse avec une main. Le cuisinier
le rassura encore :
- Il est sympa, hein ! Ce qui m’étonnera toujours, c’est la crainte
qu’inspire un animal sauvage apprivoisé. J’avais un sanglier, doux
comme un agneau, en liberté autour de chez moi, mais j’ai été
obligé de l’enfermer. Tu sais pourquoi ?
Il n’attendit pas la réponse et ajouta avec une tristesse infinie :
- Parce qu’il courait après les cyclistes pour se faire cajoler. Les
flics venaient presque tous les jours à la maison dès qu’un peureux
débarquait à la gendarmerie tout essoufflé. J’avais pourtant prévenu
tout le monde. Il suffisait de s’arrêter, de le caresser, et mon brave
sanglier repartait tout content dans sa baraque, fier de l’affection
qu’il portait à l’homme. Ce n’était pas compliqué ! Il fallait croire
que oui, car je me suis ramassé une plainte d’un touriste en VTT qui
avait passé deux heures au-dessus d’un pommier ! Un vrai con ! Il
lui balançait des pommes pour le faire fuir ! Tu penses que mon
sanglier a attendu la fin de la distribution des gourmandises pour
partir ! Comble de l’ironie : le type avait emporté des jumelles dans
l’espoir de voir des animaux sauvages de près.
Il s’énerva brusquement.
- La perpette ! La pauvre bête a été condamnée à la prison pour
le restant de ses jours. Je l’ai parquée dans un enclos. On ira lui dire
bonjour après le repas.
- Tu les as récupérés comment, tes protégés ?
- Le blaireau était orphelin. Sa mère avait été tapée par une
voiture et il tournait comme une âme en peine autour de son
cadavre. J’ai réussi à le choper et je l’ai élevé au biberon. Le
sanglier, c’est Dornier qui l’a attrapé, il était empêtré dans un vieux
grillage quand il était encore marcassin. Je pense qu’il n’avait pas
pu rejoindre la bande et qu’il avait été abandonné. Il était
magnifique dans sa livrée rayée, c’est beau un marcassin !
L’esthète jeta un coup d’oeil à la pendule en formica jaune citron, un

Extrait du roman " Le contre-pied" http:www.jeanpaulbouchet.fr