Miroir mon beau miroir...

Lors d’une discussion avec un ami d’enfance, celui-ci m’a dit, «tu te souviens quand on allait aux alouettes avec nos vieux ? ». Si je m’en souviens…

C’était généralement l’après midi dans les prés du domaine de Couvent. Cela se passait à partir de la mi-novembre, les jours sans vent, quand  les  prairies étaient fraichement broutées par les moutons, y aller avant le passage du troupeau ne servait à rien car l’herbe était alors encore trop haute, ce qui ne plait généralement pas à ces oiseaux. On se retrouvait alors entre voisins, tous chasseurs bien sur, et c’est une joyeuse équipée qui débarquait sur les prés du père Roux.
Nous nous installions à peu près toujours au même endroit, cachés tant bien que mal dans un de ces ruisseaux d’arrosage qui bordent immanquablement toutes les prairies de fauche de la région. Ils servent à l’irrigation de mars à septembre, sans elle pas de foin. C’est du au génie de monsieur Adam de Craponne qui au seizième siècle à eu cette idée lumineuse de détourner une partie des eaux de la Durance pour arroser la plaine de la Crau.

Donc accroupis dans la rigole, un tireur tous les vingt ou trente mètres et en face de chaque tireur, plantés dans la terre,  soit un miroir, soit une machoto (chouette) naturalisée, on disait empaillée à l’époque, fixée en haut d’une canne de deux ou trois mètres, l’utilisation de ce genre de leurre était alors autorisé, les écolos n’ayant pas encore envahie les salons parisiens pour les faire interdire. La plupart des miroirs étaient encore du modèle sur piquet en buis planté dans le sol et qu’il fallait faire tourner à l’aide d’une ficelle et c’est là que les apprentis cassaïres que nous étions alors prenaient toute leur utilité et leur importance, le permis accompagné ce n’est pas vraiment une invention récente, ça se faisait sans le savoir, comme monsieur Jourdain et sa prose. Notre job à nous les minots c’était de tirer la ficelle pour faire tourner le bastringue et ce n’était pas gagné d’avance car il y avait un coup à prendre comme on dit chez nous. Mais quand le coup était pris et que ça tournait bien, un coup dans un sens, un coup dans l’autre, le roi n’était pas notre cousin et les minots étaient fiers et contents de la mission d’importance dont ils étaient investis. Seulement voilà, les alouettes pour venir au miroir ou à la chouette, il faut qu’elles soient en vol dans les azurs, ce qu’elles ont tendance à moins faire l’après midi que le matin ces faignasses. Donc pour que les oiseaux soient en l’air il faut les faire voler et c’est là que les minots, encore eux, intervenaient en allant foutre le boxon dans les autres prés  alentours, ça ne chômait pas pour les arpettes cynégétiques d’alors. Les alouettes n’étaient pas toujours coopératives, mais ça marchait tant bien que mal et ça faisait brûler des cartouches de petit plomb.
Avec les alouettes se trouvent toujours un oiseau qui lui ressemble un peu, le pipit des prés, appelé plus communément piouton ou pivoton chez nous dans le sud. Il va sans dire que ces oiseaux complétaient souvent la broche quand l’alouette se faisait rare, les espèces protégées dans les années cinquante n’étaient pas vraiment bien définies, l’ONCFS n’existait pas et les gardes fédéraux pas très regardants sur la chose. D’ailleurs celui qui officiait sur notre zone, le père Jaufret,  possédait une mobylette qui faisait tellement de bruit qu’on était avertis de sa visite avec suffisamment de préavis pour tout planquer dans la ribe (la haie) avant qu’il ne débarque.
Les tireurs avaient généralement deux armes, le 16 ou le 12 pour les alouettes et une carabine de jardin en 12 ou 14 mm qu’ils gardaient sous la main pour tirer les pinsons qui venaient se poser sur les arbres de la haie, eux ils étaient chassables à cette époque là, le but de ces après-midi récréatives étant de faire une broche je vous le rappelle. Bien sur, de temps en temps, le minot lâchait sa ficelle et avait le droit, s’il avait bien fait tourner le miroir, de zigouiller son gros bec d’un coup de 12mm.
Certains jours fastes, alors que nous étions dans notre ruisseau à sec, venaient nous rendre visite vanneaux et pluviers, eux aussi très attirés par les prairies fraichement broutées. C’était alors le graal qui nous arrivait sans crier gare et la pétarade qui s’en suivait était digne de Verdun ou du chemin des dames.
Quand le soleil déclinait, on rangeait le matos et l’après midi se terminait par la passée aux grives et à la bécasse, ça aussi ce n’était pas encore verboten et puis il fallait bien remplir la broche que diable !
Faire ça de nos jours me semble bien difficile, les minots sont scotchés à leurs portables et puis une broche d’alouettes ça ne se trouve même pas chez Quick et Macdo, alors… De plus les miroirs pour être légaux ne doivent plus briller, un peu comme le cerveau de ceux qui ont pondu cette mesure, les pioutons et les pinsons sont interdits à la conso et… Et puis merde..!

Merci Dédé d'avoir réveillé des souvenirs vécus merveilleux, d'une période révolue à jamais

Quand on compare cette époque à aujourd 'hui ,difficile de ne pas dire "c 'était mieux avant" ,du moins pour la chasse .
Merci Dédé pour ce récit .

Je ne sais pas si c'était mieux ou moins bien, mais ce qui est sur c'est que c'était plus simple.

Ah , ça c'est sur !Tout n'est pas racontable , mais quel pied !

Chez nous c'était dans les champs fraichement labourés, les jours de gelée blanche: Les vieux se postaient, avec un miroir et un aide pour l'actionner et rapporter les victimes, les plus jeunes arpentaient la plaine pour faire voler les alouettes et les tirer au cul levé. Quelle pétarade !
Dieu que j'aimais ces "amusements innocents" (c'est ainsi qu'on dénommait toutes ces petites chasses): Petits oiseaux à la glu, autour d'une mini source, merles et étourneaux dans les cerisiers (à la carabine, à l'époque des cerises), grives aux pièges, etc............
Pour la protection des cerisiers je m'étais fait une spécialité, dans le coin, et durant le mois de juin et le début juillet je ne chômais pas .
Plus tard,avec un ami,nous nous sommes fait les spécialistes des corbetières: Voilà une vieille tof du tableau d'une matinée à deux, au château de Chamarande.

https://picasaweb.google.com/lh/photo/oqsijt1ZjEUuy-d4s5Op_540s5Sgp2pzJ9wayoiNUOA?feat=directlink

Mon fils qui n'a pas connu tout ça (il est né trop tard, en 72) redécouvre ces techniques quand j'ai le temps (et que les conditions s'y prêtent ) et ça le passionne.

La vache, vous faisiez fort!

C'est pareil pour mon fils, né trop tard pour avoir connu ça, mais quand on lui raconte je vois que ça lui aurait plu.

Je n'ai pas réussi a retrouver les raisons invoquées pour interdire le miroir à alouettes avec des vrais miroirs
Mon père m'a appris à tirer au vol sur ces fameuses alouettes, avec son cal 16. j'avoue que ça a été plus compliqué pour moi et mon fils , les champs propices ayant tout simplement disparus .Autres temps autres mœurs, le kompak sporting et le parcours de chasse ont fait l'affaire et il s'est perfectionné sur les grives .Les souvenirs sont beaucoup moins magiques pour lui

L'alouette au cul levé c'est une très bonne école de tir, un peu comme la bécassine, mais l'oiseau est plus petit.

ubac33 a écrit:

Je n'ai pas réussi a retrouver les raisons invoquées pour interdire le miroir à alouettes avec des vrais miroirs

La raison est simple, emmerder les chasseurs. Je n'ai jamais vu la moindre raison purement technique.

Dédé 13 a écrit:

La vache, vous faisiez fort!

Et encore, le propriétaire du domaine étant un écolo avant l'heure ne voulait pas de chien dans le parc. Chassant sous une futaie chênes/hêtres (plusieurs milliers de nids), au sol couvert de ronciers, nous en perdions au moins 30% !
On tuait près d'un millier de freux, tous les ans, à Chamarande, sans calmer les récriminations des villageois, tant le vacarme de la corbetière est assourdissant.

Là, le seul moyen vraiment efficace c'est de couper les arbres.