Mercredi 8 août 2007. 01 h 25. Fin fond du Mozambique...
« Tu peux venir ! » Alain a parlé à voix haute. La tension peut maintenant retomber doucement. Ma lampe-torche repousse un peu les limites de la nuit africaine. Je me dirige vers l'arbre où l'appât est suspendu. « Il est là... »
« Il », c'est un Léopard. Et pas n'importe lequel : mon Léopard. Foudroyé par ma balle, alors qu'il s'apprêtait à déguster un Babouin jaune, suspendu à une branche à son intention.
C'est un bon mâle, d'une soixantaine de kilos, dont nous avions repéré la trace sur la piste dimanche dernier. L'empreinte de plus de huit centimètres de large n'avait laissé aucun doute quant au sexe de l'animal.
Je caresse lentement son pelage, me laissant aller à cette impression étrange, toujours ressentie à la mort d'un grand animal, à cette mélancolie où la joie et la tristesse sont alors intimement mêlées...Je m'excuse intérieurement auprès de la Brousse de lui avoir ravi cet animal magnifique. Je crois même n'avoir jamais vu une bête aussi belle...
Tout a commencé, comme souvent, à Roissy CDG. Vol de jour pour Johannesbourg en RSA, formalités facilitées par la présence d'Ivor, un Sud africain chargé de me remettre mon permis de chasse, nuit d'hôtel près de l'aéroport et samedi 4 août vers 10 h, envol pour Pemba, Mozambique. Douane à nouveau, et encore 1h15 de vol dans un petit avion de brousse pour rejoindre l'extrême nord du pays, à la frontière tanzanienne et à 60 km de l'Océan Indien. Le Cessna effectuera 2 survols de la piste d'atterissage avant de se poser. Il faut dire que celle-ci, au milieu du village, est particulièrement fréquentée : enfants, chèvres, chiens, badauds...et objets divers l'encombrent, avant de disparaître comme par enchantement pour permettre enfin à l'appareil d'atterrir.
Alain est là, visiblement impatient de redémarrer la chasse après une période de quelques jours d'inactivité, l'Eléphant du client précédant ayant eu la courtoisie de succomber bien avant la date limite...
La chasse du Léopard est une école de patience.
Le principe est assez simple : on trouve la trace, on appâte, on surveille. Dès qu'un appât est entamé, on installe le boma ( entendez l'affût ) et on attend. Le Léopard monte dans l'arbre, et se met à table. Le chasseur est prêt. Boum ! La bête tombe, raide morte. Joie ! On récupère l'appât, qui peut alors servir de dîner bien mérité à l'équipe de chasse...Cela, c'est la théorie.
Il existe hélas ( ou heureusement ?) de nombreux facteurs non maîtrisables, qui pimentent pour le moins la chose...
Le Léopard est un prédateur essentiellement nocturne, qui, avec son odorat, son ouïe et sa vue particulièrement développés, est également l'animal le plus apte à détecter le chasseur...
Tout se passe donc, sauf rares exceptions, après le coucher du soleil, qui, ici et en août, se déroule dès 17 h 30. Après tout, il ne viendrait en effet à personne l'idée de vouloir attraper une chauve-souris en plein midi...
Les impondérables sont par ailleurs très nombreux : densités de Félins, vents tournants, odeurs humaines liées à la construction du boma, attrait gustatif de l'appât, bruits dans la boma, et présences d'éléments perturbateurs incontrôlables ( en d'autres termes et pour ce qui nous concerne, comprenez ici : les Eléphants...).
Admettons pourtant que tout ce soit bien passé : le Chat est dans l'arbre...C'est alors l'instant du tir.
La mauvaise balle, celle qui blesse, est la plus redoutée. Un Léopard mal touché se transforme alors en véritable fauve, et ce sont soixante kilos de muscles, de griffes, de crocs et de haine qui s'abattent sur son poursuivant.
L'autre mauvaise balle, celle qui loupe, ne fait que blesser l'ego du tireur. Cette plaie n'est pas mortelle. Quant à la douleur derrière la tête, due à la baffe offerte gracieusement par le guide de chasse dépité, elle s'estompe rapidement...
Je connais quelques chasseurs qui ont dû effectuer au moins 2 ou 3 voyages avant de pouvoir prendre un Léopard, preuve, si il en était besoin, du caractère blagueur de l'animal...
Cette chasse est donc une chasse très technique, dévoreuse de temps, et elle suscite des tensions intenses...
Dimanche 5 août. Tournée des cantines...
En tout, 8 appâts ont été installés dans des arbres offrant de belles branches horizontales, tous à proximité de traces fraîches provenant de Léopards différents. Au menu : chevreaux. Les animaux sont achetés vivants dans les villages. Ils sont abattus par notre skinner, qui récupère la tripaille et le sang afin de fabriquer la « soupe » qui servira à attiser l'appétit de notre félin tacheté.
Il faut noter que notre intérêt soudain pour les caprins mozambiquains a rapidement réveillé le sens mercantile des paysans locaux, et qu'il nous fallait rouler plus vite que l'inflation pour espérer acheter des chevreaux à des prix décents dans les villages voisins, mystérieusement informés de la flambée subite des cours...Mais bon, quand la cause est bonne !
Nous visitons donc les appâts, observons les traces, inspectons les troncs des arbres sélectionnés pour y déceler d'éventuelles griffures. Nous traçons également, entre la piste et l'appât, des sentiers « odorants » grâce à la soupe qui profite maintenant pleinement des 30 degrés ambiants pour développer un fumet assez puissant...Tout cela prend du temps, et la journée se déroule trop rapidement pour pouvoir envisager une quelconque autre chasse.
Dans le but de remplacer si besoin les appâts, ou de varier le menu d'un Léopard particulièrement gourmet, j'assassine cependant, mais sans gloire, un malheureux Phacochère de l'année...après avoir lamentablement raté un Babouin immanquable. Je n'aime pas tirer sur un Singe. Question de génétique ?
Afin de s'immerger complètement dans la chasse, Alain propose un bivouac en brousse, près d'un point d'eau. Des traces de Buffles, d'Eléphants et d'antilopes Sables indiquent sur place de récents passages, et un appât y a été installé également. Cette nuit en boma permettra aussi à l'équipe une sorte de répétition générale avant le grand jour...ou plutôt la grande nuit !
Installation, toast porté à certains internautes de ma connaissance, repas, et silence absolu.
Nous verrons, juste après le coucher du soleil, un grand Eléphant, porteur de pointes relativement fines, mais dépassant les 2,30 m ! C'est un objectif tout désigné pour le chasseur qui doit me succéder, si l'animal veut bien rester 15 jours dans les parages...
La nuit en boma a été longue : des Eléphants partout, des troupeaux constitués de femelles et de petits, rendant possible une confrontation délicate ( pour nous ! ) si nous sommes éventés. Les arbres, malmenés par les pachydermes, craquent et s'effondrent tout autour de nous...
On se sent tout petit, perché en pleine nuit, dans une tente, sur une termitière...et entouré de mastodontes de 5, 6 ou 7 tonnes...Vivement que le jour arrive, qu'on puisse dormir !
Lundi 6 août. Toujours rien...
Visite des appâts. Ils sont, hélas, tous intacts. Enfin si l'on peut dire : le soleil et les mouches ont commencé à « attendrir » la viande...A bord du Land-Rover, le bidon de soupe laisse également échapper des effluves particulièrement puissantes...Et comme le Phacochère d'hier fait partie de l'équipage, au cas où..., c'est un véhicule particulièrement odorant qui s'engage sur la piste..!
Nous répétons tout le travail effectué hier. Pas d'inquiétude, il faut laisser le temps aux mâles, territoriaux, de faire le tour de leur domaine pour revenir buter sur notre buffet gratuit sans obligation d'achat...C'est mathématique. Du moins, tout le monde l'espère...Mais une petite déception générale se fait ressentir à chaque fois que l'appât est découvert intact. On commence à prendre des paris sur tel ou tel emplacement, évidemment plus favorable qu'un autre, et chacun, du chauffeur au pisteur, y va de son pronostic...en vain pour aujourd'hui.
Cette fois ci, nous avons le temps de pousser jusqu'à la rivière, afin de repérer un éventuel bon mâle d'Hippopotame, au cas où... Nous tombons nez à nez avec des braconniers venus de la Tanzanie voisine. Débandade générale..! Nos pisteurs les coursent, et reviennent avec...2 paniers remplis de poissons frais et boucanés ! Des sourires gourmands éclairent leurs visages, c'est une bonne journée qui s'achève...
Un Babouin succombe, finalement. Faut vraiment avoir besoin d'appât ! D'un autre côté, ce tir lointain me rassure un peu sur mes capacités à placer une bonne balle...
Retour au camp de toile « à l'anglaise », magnifiquement installé en bordure d'un affluent de la Rovuma, et tenu impeccablement par Helga, une Allemande passionnée d'Afrique qui vit ici toute l'année, et Geoff, un PH vivant à Joburg, Anglais, mais extrêmement sympathique...
Geoff nous accompagne également à la chasse, me permettant ainsi de bénéficier des services de 2 Professionnal Hunters chevronnés pour 1 client, ce qui n'est pas une formule courante..!
Whisky, glaçons, nous refaisons le monde, modestement, sur la terrasse surplombant la rivière face au couchant.
Mardi 7 août. Ca mord...
Le troisième appât de notre circuit « gastronomique » a été croqué cette nuit ! L'endroit est superbe, en bordure d'une grande plaine marécageuse offrant encore une mare en son centre. L'arbre est en lisière de forêt. Mais je n'aurais pas parié un dollar sur cet appât. Loin de la piste, il n'avait pas reçu sa ration de soupe hier matin. C'est dire si le Chevreau devait sentir bon...L'appât a disparu. Seul le câble sur la branche, et quelques poils de chèvre au sol témoignent du repas du Chat. Les traces de griffes sur l'arbre nous renseignent sur l'auteur de la grivèlerie. C'est bien un gros matou. Pourvu qu'il ait encore faim ce soir...
On sonne le branle-bas de combat. Il s'agit d'installer la boma à bon vent, et ailleurs que sur le passage du Léopard ! C'est d'ailleurs le problème, puisque, malgré tous les efforts des pisteurs, on ne retrouve pas les traces qui mènent à l'arbre...
La solution, c'est donc de s'installer en hauteur. Une plate-forme est vite construite, instable à souhait...La tente est hissée sur l'affût, les « lits » installés, la glacière, et accessoirement les armes, trouvent également leur place dans notre « studio avec vue sur le marigot »...
Il est 14h30, le Land s'éloigne, nous laissant, Alain et moi, dans la solitude de nos 2,50 m2...
17h45, il fait nuit noire...
18h30, un premier gros père pointe le bout de sa trompe...Il est à 30 mètres de nous, occupé à transformer la petite mare d'eau claire en infâme bourbier...Les plaintes des arbres en forêt laissent à penser que l'Eléphant n'est pas seul...C'est un grand mâle, porteur d'une seule et belle pointe.
19h00, N'dovu, c'est son nom local, décide de rentrer en forêt. Problème, il semble décidé à passer sur nos duvets...
19h05, les 6 tonnes graciles du mono pointe s'écartent gentiment...et passent à moins de 10 mètres derrière notre affût. L'Eléphant rentre en forêt, sans nous éventer. Ouf..!
19h10, j'entends des pas, dans mon dos, sur les feuilles mortes qui tapissent le sol. C'est notre Chat. Je le chuchote à Alain, dont l'audition ne s'arrange pas avec l'âge : « Attention, le voilà ! »
19h10 et 30 secondes, début du quiproquo tragi-comique : Je vais parler du Léopard, Alain est, lui, persuadé que je parle de l'Eléphant qui vient de nous rendre visite...
Du coup, il ne prend pas de précautions particulières, et remue sur le lit comme un beau diable...
19h11, le Léopard s'arrête pour écouter ces bruits inhabituels. Forcément, un guide qui s'agite sur un duvet à 2 mètres de hauteur, c'est encore peu courant en Brousse...Le Chat est à 2 mètres maximum de la boma, certainement assis sur son derrière, à regarder en l'air dans notre direction..Je le sussure à Alain, et ne comprends évidemment rien à son attitude : il me répond, toujours assez fort, qu'il ne voit rien...
19h12, le Léopard se dirige malgré tout vers l'arbre...Un suicidaire ? J'annonce la direction à Alain, qui me répète, de plus en plus fort, qu'il ne voit toujours rien. Évidemment, je le saurais après, il cherche une bestiole de 6 tonnes et de 3,50 mètres de haut...Et gigote de plus belle...
19h13, le Léopard, enfin, se débine, estimant que ces bruits peu coutumiers pouvaient peut-être indiquer un danger...Il part, à la même allure qu'à son arrivée, ponctuant cette fois chaque foulée de ce feulement si caractéristique, décrit chez les bons auteurs « comme le bruit d'une scie sur une bûche... »
19h14, explications dans la boma...Sidéré par l'attitude d'Alain, j'ouvre le débat. Lui, de son côté, ne comprends pas de quoi je parle...
19h15, le moral du binôme est au plus bas...Enfin nous avons saisi toute l'ampleur du quiproquo...On pourrait largement en rire, mais vu le boulot effectué pour essayer de faire monter ce Chat dans l'arbre, le coeur n'y est pas...La chasse est fichue, nous avons largement gâché la partie...Alain me parle d' un éventuel « coup du matin » sur un ton qui ne trompe personne...De toute façon, on ne peut pas rejoindre le camp, alors...
19h17, On essaie de dormir, au moins pour ne plus entendre les moustiques, auxquels nous servons d'appâts...Chacun son tour..!
1h00, Alain se réveille, et sort de la boma pour satisfaire un besoin aussi pressant qu' irrépressible...Moi aussi, j'aime autant qu'il fasse ça dehors, et sous le vent, si possible. Bruits, lumière, re-bruits, re-lumière...toute la Brousse est informée des faiblesses intestinales d'Alain ! Je ne peux m'empêcher de penser que cette fois-ci, c'est vraiment foutu...
1h10, On essaie de dormir à nouveau. Les moustiques s'en donnent toujours à coeur-joie...
1h20, un léger bruit insolite me tire de mon sommeil.
1h21, le même bruit se répète. Ca croque des os ! Pas possible, on se restaure à mes frais ! Le moral repart au beau fixe ! L'adrénaline se déverse à flots...
Alain aussi a entendu, et s'est redressé doucement. Jumelles. « Il est sur la branche ! C'est bien un mâle. A toi de jouer... »
La suite, vous la connaissez...
Sujet: Léopard au Mozambique. 
Sam 1 Sep 2007 - 22:22
