Nous ne marcherons plus ensemble…Ce soir au fond de ton marais je pleure mon enfance…les années d’insouciance que nous avons partagé… cet enfant que tu as connu et aimé…et qui sait que tu ne reviendras pas. Comme pour me recueillir (ou inconsciemment peut-être t’attendre), je suis revenu à l’endroit précis ou un soir de septembre il y a déjà dix ans tu m’avais montré les prémices de ton grand talent. Je revois cette première sarcelle tuée ensemble comme si tu venais de me la rapporter à l’instant, moi presque à genoux fauché par l’émotion et toi te dandinant comme une adolescente amoureuse, si belle et maladroite à la fois !
Notre idylle est née ici, je suis donc revenu te pleurer là…
Amie à la fidélité sans faille, compagne de mes premiers pas de chasseurs et témoin des bons comme des mauvais moments, je garderai toujours en mémoire tes rapports incroyables, ton courage déraisonné et toutes tes qualités indiscutables oubliant à jamais ton entêtement et nos disputes trop fortes parfois.
Pardonne moi ma grande de ne pas t'avoir gardée près de moi. Chaque jour j'avais une pensée pour toi et c'est par amour que je t'ai laissé en Camargue, car toi, tu ne méritais pas d'être enfermée dans une prison citadine. . Je sais que tu ne m'as jamais été infidèle, que tu m'attendais patiemment me pardonnant toutes mes escapades à la seconde même où ton regard se posait sur moi. L'été dernier, nous avons passé quelques nuits ensemble comme de vieux amants qui pourtant étaient conscients que bientôt tu risquais de partir dans l'autre royaume, celui dont on ne revient pas. Mais tu voulais tant y être, alors nous y étions...
Le gosse fébrile a été remplacé par un homme inconsolable aux yeux bleus remplis de larmes, brisé de t'avoir laissé sur cette table froide...Encore si présente dans ma mémoire... je pleure beaucoup tout en me souvenant... Malheureusement ce soir le temps est plus que calme et j’ai beau essayer de surprendre un bruit trahissant ton improbable présence, tout est désespérément silencieux… je ne te reverrai plus. J’espère tout de même que tu auras l'audace de venir hanter mes nuits, qu'au moins pour quelques minutes d insouciance j'ai le sentiment que tu sois encore là !
Ce 13 Octobre, j'ai demandé à ce que tes yeux s'éteignent définitivement, promesse respectée contre la souffrance...dure décision que de sonner le glas... Merci ma belle, d'avoir attendu que je sois près de toi pour arrêter le combat...Reine parmi les reines, que je suis fier d’avoir été ton roi…
Dans tes derniers mois de vie, tu as du croiser au Mas une petite chienne noire et blanche…Elle a comme toi le regard de ceux qui ne trahissent pas. Elle n’est pas arrivée à effacer de ma mémoire ton image, elles se ressemblent tant… Elle aussi a bénéficié des conseils du vieil homme, celui que je te revois écouter comme une écolière modèle lorsque tu n’étais qu’un chiot… Comme toi, elle a vite compris le petit manège de la chasse, aime la main et la présence de son maitre et ne vit que pour ça…
Les ragondins sabrent le Champagne, les poules d'eau se promènent en chantant, les canards nagent paisiblement dans ton petit marais de St Laurent... pour eux tu étais le diable, pour moi tu étais de mon sang...
Adésias Flo, à bientôt dans nos souvenirs et dans nos songes....
Marcel Pagnol a bien raison : "Telle est la vie est des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants."